On a qu’un seul pays celui de l’enfance
On a qu’un seul pays celui de l’enfance
Lecture Jean-Jacques Epron
Mise en voix Kamel Guennoun
L’arrivée du diseur d’histoires
« Marche aujourd’hui, marche demain, mais n’oublie jamais d’où tu viens » me disait mon grand-père.
Bonjour les gens d’ici, les gens d’ailleurs. Moi je viens d’un petit pays dans le Poitou. Tellement petit qu’on ne le voit même pas sur une carte.
Mon petit pays à moi, c’est celui du cœur, c’est celui de l’enfance. Un pays de pierres sèches où la terre, l’eau et le ciel se mêlent et s’entremêlent dans le silence et l’oubli.
Mon pays de cocagne et de souvenance a le goût du goudron mouillé après l’orage, l’odeur de l’herbe mâchée des champs, de pluies diseuses de bonnes aventures, des ciels mauve-lilas.
Dans mon petit pays les hommes forgent et cultivent, ultimes gestes façonnés par le temps.
Dans mon petit pays, on entend parfois, au loin, les crissements et les aboiements des broyeuses, défricheuses de talus, mâcheuses de haies, sacrifiées sur le sacro-saint autel de la rentabilité.
Mon petit pays est rond, tout rond.
Rond comme le soleil quand il brille à midi dans le ciel,
Rond comme la lune quand elle est bien pleine,
Rond comme le ventre de la femme donneuse de vie et d’éternité,
Rond comme une pomme, une belle pomme, bonne à croquer.
Et puis un jour, les gens d’ici, les gens d’ailleurs, j’ai pris ma valise à histoires et à mémoires, j’ai mis le chemin sous mes semelles et je suis parti par un beau grand chemin.
J’ai marché des jours, des nuits, des lunes, des soleils.
Traversé des montagnes, des plaines, des collines, des océans.
Au bout du beau grand chemin, je suis arrivé dans un petit village, tout rond. Dans ce village, il y avait une place, toute ronde et au mitan de la place, un arbre, un bel arbre qui grimpait dans le ciel pour aller caresser les nuages et tutoyer les étoiles.
Le soir, à la veillée, les vieilles et les vieux du village venaient s’asseoir autour de l’arbre sur des bancs de pierre pour raconter des histoires, des histoires vieilles comme le monde.
Moi, je me faisais tout petit de l’intérieur pour croiser au loin les chants des marins, la voix de Mélusine, les pas feutrés des loups dans la forêt. J’ouvrais ma valise à histoires et à mémoires et j’écoutais. Je goûtais les paroles qui courraient sur les lèvres sucrées des vieux et des vieilles du village. J’apprenais avec eux le goût de la lenteur et de la parole donnée, partagée.
Tard dans la nuit, les anciens du village allaient se coucher et moi, je restais seul sous les étoiles. J’écoutais le bruissement des feuilles dans les arbres, petite mélodie douce et fragile sous la lune.